Tous ensemble face à l’adversité
24 AVRIL 2020
Nos athlètes Hilaree Nelson, Conrad Anker, Jim Morrison et Jimmy Chin (une équipe d’alpinistes les plus expérimentés et les plus accomplis au monde) ont passé le mois de janvier 2020 ensemble dans le cadre d’une expédition en Antarctique.
On mesure souvent le succès d’une telle expédition par l’atteinte du sommet. Mais lorsque l’équipe a atteint le sommet du mont Vinson et s’est préparée à redescendre, des conditions imprévues et des risques élevés ont transformé le succès en quelque chose d’un peu différent : la survie.
Dans leurs propres mots, accompagnés de photos prises par Jimmy Chin, ils nous racontent ce que cette expérience leur a appris sur l’exploration, la volonté d’aller au bout de sa passion et l’importance de ne pas penser qu’à soi-même. Qu’il s’agisse de la puissance du travail d’équipe pour prendre collectivement des décisions difficiles ou apprendre à explorer de manière responsable, ce qui compte vraiment ce sont nos liens et notre communauté.
Comment l’expédition a-t-elle pris forme? Et quel était le but de ce périple?
Hilaree : L’idée de cette expédition en Antarctique est venue de Conrad. Il était guide sur le mont Vinson à la fin de décembre et il nous a invités, Jim, Jimmy et moi, à le rejoindre sur le continent par la suite. N’étant jamais allé en Antarctique (malgré mes efforts), j’étais vraiment emballé. En prime, l’idée de former une équipe tous les quatre était extrêmement alléchante. Je connais Conrad et Jimmy depuis très longtemps et nos excursions en montagne ont toujours été de francs succès. L’objectif était d’escalader le mont Vinson par la coulée de glace centrale et de tenter d’être les premiers à emprunter cette voie. Ensuite, nous devions tenter l’ascension du deuxième pic le plus élevé, soit le mont Tyree, et d’en faire la première descente à ski.
Racontez-nous. Que s’est-il passé là-bas?
Conrad : Après le premier cycle de guidage, nous avons été retenus par la météo. Les mauvaises conditions nous ont empêchés, Hilaree, Jim et Jimmy, de nous rendre au camp de base par la voie des airs. Après leur atterrissage, nous sommes partis le lendemain matin pour une ascension d’une journée du mont Vinson par la coulée de glace centrale. De 1992 à 2002, j’ai travaillé comme guide sur le mon Vinson. Entre les rotations, j’ai escaladé par cette voie. À la deuxième ascension, nous avons affronté des conditions d’enneigement très différentes de ce dont je me souvenais en 1998. Là où j’avais foulé un sol croûté qui se prêtait bien aux crampons, nous nous sommes retrouvés avec de la neige jusqu’aux genoux. Nous avons été chanceux d’atteindre le sommet, une première pour Hilaree et Jimmy.
Hilaree : Jim, Jimmy et moi sommes arrivés un jour plus tôt que prévu au glacier Union, totalement galvanisés par l’aventure qui nous attendait. Conrad était au camp de base du mont Vinson après l’atteinte du sommet, mais il était coincé parce que les mauvaises conditions météo empêchaient les avions de récupérer les grimpeurs. Nous sommes restés tous les trois coincés au glacier Union pendant quatre jours. Cela a un peu entamé notre enthousiasme, mais nous en avons profité pour faire du vélo, lire sur l’histoire de l’alpinisme en Antarctique, dormir et manger copieusement.
Enfin, la météo sur le mont Vinson s’est suffisamment dégagée pour nous permettre de voler jusqu’au camp de base. Le fait de rejoindre Conrad et d’apercevoir la voie d’escalade pour la première fois nous a ragaillardis. Nous sommes allés ce jour-là déposer un chargement de matériel à la base de l’ascension. Le lendemain matin, nous sommes partis de notre camp de base en direction du sommet, quelque 3 000 m plus haut, près de 5 000 m au-dessus du niveau de la mer. Conrad ne s’est pas trompé en évaluant qu’il nous faudrait plus de 14 heures pour atteindre le sommet.
Bottes de ski au pied, avec nos skis sur le dos, nous progressions lentement, surtout en raison des mauvaises conditions d’escalade. Nous avons atteint le sommet en environ 15 heures, mais les risques d’avalanche nous ont empêchés de redescendre en ski par le même trajet. Jim, Jimmy et moi sommes passés par la voie régulière, beaucoup plus sûre, car elle est généralement dépourvue de neige et bien tracée par les grimpeurs.
En quoi vos attentes pour cette expédition différaient-elles de ce que vous avez vécu?
Conrad : En tant qu’alpinistes, la météo ne nous laisse parfois qu’une toute petite fenêtre d’opportunité. La météo à long terme, c’est le climat. La mer de Bellingshausen, à l’ouest, a une banquise saisonnière plus mince. La glace de glacier est millénaire. La banquise se forme chaque hiver. Avec les changements climatiques, la glace est plus mince, ce qui expose l’océan plus tôt. La chaleur de l’océan peut créer de la condensation et produire des précipitations plus humides et plus fréquentes dans la chaîne de montagnes Ellsworth. D’après mon observation anecdotique, c’est maintenant plus humide et plus chaud.
Le succès se mesure souvent aux montagnes que nous réussissons à dévaler en ski ou à escalader, mais cette fois le succès a été de prendre la décision judicieuse d’attendre une prochaine fois.
Jim Morrison
Au moment d’évaluer les risques, quels facteurs vous ont guidés dans votre décision de rebrousser chemin?
Jim : Lors des deux ascensions, nous avons abondamment discuté, en équipe, des moyens de réussir l’escalade de façon relativement sécuritaire. À maintes reprises, nous avons souligné les risques potentiels et cherché des moyens de les contourner. L’expérience collective du groupe et notre volonté d’agir en toute sécurité pour le bien de l’équipe nous ont permis d’aller au maximum de nos capacités. C’est là notre véritable victoire. Nous avons vraiment repoussé nos limites, tout en maintenant un profil de risque dont nous pourrions être fiers à notre retour.
Pour Hilaree, Jim et Jimmy, il a dû être particulièrement ironique de redescendre avec leurs skis sur le dos. Nous sommes conscients qu’en montagne le temps est précieux et pour y rester le plus longtemps possible, il faut prendre la bonne décision.
Conrad Anker
Comment cela a-t-il agi sur la dynamique de groupe?
Hilaree : Notre dynamique de groupe était excellente. Évidemment, nous étions déçus de devoir renoncer au trajet prévu pour redescendre le mont Vinson, et encore plus déçus de ne pas nous être rendus très loin sur le mont Tyree. Toutefois, nous avons déployé d’immenses efforts pour surmonter un obstacle qui s’est avéré insurmontable : des conditions vraiment merdiques. « Vivre pour skier un autre jour » est devenu notre devise. Sincèrement, l’évidence des dangers a fait en sorte que la décision, aussi pénible soit-elle, a été facile à prendre. Elle aurait été beaucoup plus pénible s’il avait fallu se baser sur un vague sentiment ou si les conditions avaient été plus ambiguës.
Nous étions déçus de devoir renoncer au trajet prévu pour redescendre le mont Vinson, et encore plus déçus de ne pas nous être rendus très loin sur le mont Tyree. Toutefois, nous avons déployé d’immenses efforts pour surmonter un obstacle qui s’est avéré insurmontable : des conditions vraiment merdiques. Vivre pour skier un autre jour est devenu notre devise.
Hilaree Nelson
Qu’avez-vous ressenti en mettant de côté vos objectifs personnels pour la sécurité de l’ensemble du groupe?
Jim : C’était vraiment nul. Je voulais dévaler le couloir dans la poudreuse, mais j’ai dû abandonner l’idée ridicule de skier en solitaire et j’ai préféré l’approche plus difficile : redescendre en toute sécurité. Le fardeau des bonnes décisions est un effort collectif, mais chacun des membres le porte individuellement.
La pratique de l’escalade et du ski de haute montagne nous amène à partager des moments très poignants. Le repas que nous avons partagé dans notre dôme de deux mètres la dernière nuit n’a sans doute pas eu la même saveur que si nous avions skié toute la montagne, mais c’était préférable au destin funeste qui aurait pu être le nôtre. Tenir bon; prendre les bonnes décisions.
Conrad : Au bout du compte, une fois de retour à la civilisation ce sont ces moments qui nous reviennent en tête et qui rendent la vie spéciale.
Regardez Hilaree, Conrad, Jim et Jimmy parler de leur aventure en Antarctique sur YouTube Live: